mercredi 12 mars 2008

70 ans après l'Anschluss, le malaise des Autrichiens


AUTRICHE. Deux habitants sur trois souhaitent tirer un trait définitif sur le passé nazi. Commémorations cette semaine.

Maurin Picard, Vienne Mercredi 12 mars 2008


Divisée sur l'importance à accorder aux célébrations du 70e anniversaire de l'Anschluss, l'annexion forcée à l'Allemagne nazie le 12 mars 1938, l'Autriche peine toujours à assumer le legs de ce «jour le plus noir» de son histoire.

Expositions, débats, documentaires télévisés se succèdent depuis quelques jours, relayés par les médias, selon la volonté du gouvernement de marquer la «repentance» de tout un peuple pour sa collaboration active avec le IIIe Reich et l'élimination de ses élites juives. L'Eglise catholique a appelé la population à «tirer les leçons du passé», par la voix notamment du cardinal-archevêque de Vienne, Mgr Christoph Schönborn.

Une veillée aux chandelles, baptisée la «nuit du silence» en hommage aux survivants de la Shoah, sera organisée ce mercredi soir sur la Heldenplatz, la place des Héros, à l'endroit même où Hitler proclama l'annexion de son pays natal le 15 mars 1938, devant 250000 personnes en liesse.

Exposition à l'opéra

Malgré ces bonnes intentions, le cœur en Autriche, pourtant, n'y est pas. Est-ce parce que «60% des Autrichiens n'ont pas connu la guerre», comme l'a affirmé le maire social-démocrate de Vienne, Michael Häupl? Ou parce que l'évocation de ces heures sombres de l'histoire de l'Autriche reste pénible pour le plus grand nombre? D'après un sondage établi par l'Institut d'études de sciences sociales de Vienne (SWS), 60% des personnes interrogées souhaiteraient tirer un «trait final» sur le passé nazi du pays, tandis que 36% se prononcent en faveur d'un travail de mémoire plus appuyé.

Une émouvante exposition à l'Opéra de Vienne, intitulée Victimes, coupables, spectateurs, vient opportunément rappeler que, même au sein de cette prestigieuse institution, 92 musiciens de confession juive furent brutalement renvoyés. «Il fallait apporter plus de lumière et de propreté dans l'histoire de la maison, souligne le directeur du Staatsoper, Ioan Holender. Nous n'avons pas été et ne sommes pas des petits saints.»

Le chancelier autrichien Alfred Gusenbauer a salué lundi cette volonté de «regarder en face un douloureux passé», avant de regretter que «dans l'Autriche de 2008, les institutions [prêtes à en faire autant] sont encore malheureusement l'exception».

Une allusion à peine voilée au Musée Leopold de Vienne, où vient de s'ouvrir une exposition consacrée au peintre tyrolien Albin Egger-Lienz, et dont des dizaines de peintures présenteraient des origines suspectes. Parmi les toiles présentées figure un portrait de paysans peint en 1910, offert à Adolf Hitler par ses officiers pour son anniversaire en 1939, après avoir été volé à un architecte juif viennois, Oskar Neumann.

Le mot d'Otto de Habsbourg

Les autorités autrichiennes se sont vu récemment reprocher de n'avoir toujours pas fini d'indemniser les victimes du nazisme - juifs, homosexuels, tziganes et déserteurs de la Wehrmacht - ou d'avoir laissé s'éteindre dans leur lit des criminels de guerre nazis, comme Erna Wallisch, cette ancienne gardienne du camp d'Auschwitz âgée de 86 ans, décédée chez elle à Vienne le mois dernier.

Dans ce contexte délicat, beaucoup attendaient un discours fédérateur et positif d'Otto de Habsbourg, ce «témoin du siècle» âgé de 95 ans. Hélas, le vieil homme a dérapé et apporté son interprétation très personnelle des événements du 15 mars 1938. Arguant qu'il n'y avait «pas plus de 60000 personnes» ce jour-là face au balcon de la Hofburg, il a ajouté que cette affluence ne dépassait pas celle d'un «match de football». Embarrassé, l'ancien chancelier conservateur Wolfgang Schüssel (ÖVP) a tenté de corriger le nonagénaire, en rappelant que le fait de se trouver sur la Heldenplatz le 12 mars 1938 n'était «pas aussi innocent que d'assister à un match de football».



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